Discours d'accueil - Colloque "Démocratie représentative : vers la fin d'un modèle ?" - 22 septembre 2015

Démocratie représentative: vers la fin d’un modèle?

Diagnostic et remèdes

 

Mot de bienvenue de Mme Christine Defraigne, Présidente du Sénat

 

 

Traditionnellement l’élection est considérée comme le mode normal, mais aussi comme le mode exclusif, de participation des citoyens à la vie politique. La démocratie représentative repose sur le verdict des urnes. C’est une évidence. Les citoyens sont invités tous les quatre ou cinq ans à choisir leurs élus et à exprimer leurs priorités. Mais entre deux élections, le plus souvent ils sont ignorés. Les cartes sont battues et les élus jouent leurs atouts dans un jeu dirigé par les partis politiques. Les citoyens s’en remettent entièrement aux élus, aux partis politiques et aux groupes d’intérêt pour opérer les choix qui engagent l’avenir de la société. Ils sont confinés dans un rôle passif.

 

Les élections enferment la démocratie dans une logique binaire : voter pour une liste ou une autre, préférer un candidat à un autre ou, en désespoir de cause, s’abstenir… Le bulletin de vote n’est jamais en mesure de traduire la complexité des opinions de chacun.

 

C’est pourquoi beaucoup de citoyens se désintéressent de la politique ou portent un regard cynique sur les institutions démocratiques. Le phénomène n’est pas nouveau, mais sans doute prend-il aujourd’hui une ampleur et des formes inquiétantes. Les taux de participation aux élections baissent constamment, tandis qu’on observe partout en Europe la montée des populismes et des idéologies démagogiques.

 

Il n’existe point de démocratie sans démocrates. Il n’existe point de démocratie sans citoyens, organisés ou non, qui donnent vie au débat démocratique.

 

La pratique des auditions a offert une première réponse à la crise de la démocratie représentative. Elle est incontestablement l’un des traits majeurs de l’évolution récente du travail parlementaire et est aujourd’hui largement répandue : à l’occasion de l’examen des principaux projets de loi, les commissions parlementaires associent à leurs travaux le monde académique, mais aussi le monde associatif dans toutes ses composantes.

 

Être à l’écoute de la société est devenu un impératif dans l’art de légiférer.

 

L’exemple le plus médiatisé, et sans doute le plus illustratif, de la pratique des auditions au Sénat est celui de la proposition de loi sur l’euthanasie : trois mois d’auditions, quarante-quatre témoignages, un compte-rendu de six cents pages accessible sur Internet, une retransmission intégrale sur une chaîne de télévision. La commission de la Justice s’est efforcée de donner la parole à tous les secteurs de la société concernés par la problématique de l’euthanasie : les médecins hospitaliers et les médecins traitants, les infirmiers, les patients, les associations militant pour le droit de mourir dans la dignité, les équipes palliatives, les juristes, les éthiciens, etc. Son ambition était de prendre connaissance des sensibilités diverses présentes au sein de la société et de dégager, sur une question éthique aussi fondamentale que l’euthanasie, un consensus le plus large possible. Les auditions ont été l’occasion d’un dialogue avec les milieux intéressés et ont créé une véritable dynamique de discussion en dehors des enceintes parlementaires.

 

Si, donc, la pratique des auditions a enrichi les débats parlementaires, en les ouvrant à la société civile, elle n’a cependant pas offert une réponse suffisante aux défis que pose la crise de la démocratie représentative. Les groupes de pression ne représentent en définitive qu’un segment de la société. Une partie, parfois importante, souvent défavorisée, du corps social n’est pas relayée par le monde associatif. Sa voix risque de n’être jamais entendue. C’est le danger du corporatisme.

 

Aujourd’hui, les parlements cherchent des formes nouvelles de participation qui permettent aux citoyens, à l’ensemble des citoyens, de se prononcer plus souvent et plus directement sur les questions qui engagent l’avenir de la société. La participation ne se limite plus au seul cercle des groupes d’intérêt ; elle s’élargit à tous. Il s’agit bel et bien d’une participation ouverte, d’une participation du public au sens large, qui est rendue possible grâce aux moyens de communication électronique.

 

Trois expériences récentes méritent à cet égard d’être présentées.

 

La première concerne le mécanisme des initiatives citoyennes. Un tel mécanisme existe aujourd’hui dans treize États membres de l’Union européenne et est consacré par le traité de Lisbonne. Il permet aux citoyens, pour autant que l’initiative soit soutenue par un nombre suffisant de personnes, de lancer le processus législatif. Lorsque l’initiative récolte le nombre de signatures requis, le parlement est saisi. Les promoteurs de l’initiative sont entendus par le parlement et ce dernier est tenu de prendre position.

 

Si, dans les faits, l’initiative citoyenne débouche rarement sur l’adoption d’une loi en bonne et due forme, son poids politique n’est pas négligeable. Elle permet de mettre une question à l’agenda du parlement et, parfois, de réaliser de réelles avancées sociales.

 

La seconde expérience concerne les procédures de consultation par voie électronique, qu’on qualifie aussi de « e-participation ». Ces procédures commencent à se généraliser. Elles ont actuellement cours dans une dizaine de pays de l’Union européenne. Il s’agit le plus souvent d’une consultation du public en amont, c’est-à-dire dans la phase pré-législative. Le gouvernement publie en ligne les projets qu’il se propose d’adopter. Le public est invité à communiquer ses observations sur un forum. La procédure peut être plus ou moins contraignante. Le gouvernement est souvent tenu de répondre aux observations du public et de communiquer la synthèse de ces observations dans un rapport.

 

Enfin, plusieurs pays ont lancé récemment des expériences de participation directe du public aux débats parlementaires. En Autriche et en Irlande, des commissions parlementaires associent à leurs travaux des citoyens tirés au sort, une idée chère aux initiateurs du G1000. Au Portugal, des forums en ligne permettent aux citoyens de réagir lors des débats en commission. Cette dernière expérience mérite d’être partagée, car les parlements ne peuvent plus ignorer l’importance des réseaux sociaux et l’impact grandissant qu’ils exercent dans tous les débats publics.

 

Une leçon importante peut être tirée de ces différentes expériences : les nouvelles formes de participation créent des attentes au sein de la population. Si elles sont prises au sérieux, elles seront des outils au service de la démocratie et contribueront à renouveler la confiance du public dans les institutions. Si, par contre, elles sont de simples gadgets, elles renforceront encore davantage le sentiment de défiance à l’égard de la politique de nombreux citoyens.

 

La conception contemporaine de la démocratie est très éloignée de celle qui prévalait il y a un siècle. Aujourd’hui, la gestion des affaires publiques s’exerce de manière consensuelle. La loi est l’expression d’un pluralisme, elle est le fruit d’un équilibre entre des intérêts différents. La participation des citoyens au processus d’élaboration des lois, à travers de nombreux relais, est de plus en plus ressentie comme une exigence démocratique. Un large courant de la pensée juridique s’efforce de rendre compte de la légitimité des lois par la façon dont elles sont élaborées. Selon Habermas, ce qui décide de la légitimité du travail législatif, c’est l’accès libre et égal à la discussion de toutes les personnes concernées. Les nouvelles formes de participation ouvrent ainsi la porte à une démocratie plus mature, dans laquelle les citoyens peuvent exprimer de manière quasi-continue des opinions susceptibles d’évolutions et de multiples nuances.

 

L’on oppose souvent la « démocratie de partis » et la « démocratie du public », comme si les deux types de démocratie étaient incompatibles… Déjà en 2001, le comité scientifique qui avait accompagné les travaux des commissions parlementaires pour le renouveau politique, concluait, à juste titre, « qu’en toute hypothèse la démocratie représentative et la démocratie participative sont appelées à se compléter. Ce serait une erreur grave de croire que le développement de la seconde justifierait que l’on se désintéresse de la crise qui affaiblit la première. » (Doc. Sénat, 2-506/1, 16-17). Les nouvelles formes de participation ne doivent pas être perçues comme une menace pour le fonctionnement des institutions démocratiques. Au contraire, elles sont de nature à renforcer la légitimité publique des choix opérés par ces institutions.

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